vendredi 30 décembre 2011

Les "chirurgiens"

Je n'ai absolument rien contre cette catégorie professionnelle. Non, ceux contre qui j'ai une dent de la taille d'une défense de mammouth, ce sont les individus qui incarnent parfaitement le stéréotype. Vous voyez ? le col relevé, le regard de James Bond et le tonitruant "Bougez pas, j'arrive, je suis chirurgien" quand ils entrent dans une pièce, comme s'ils sauvaient des vies à tour de bras tous les jours (ce qui n'est quand même pas souvent le cas, faut le reconnaître). C'est ce genre d'individus que je regroupe sous l'archétype "chirurgien" (notez bien les guillemets).

Pourquoi je ne les aime pas ? attention ! j'ai certains de mes plus proches ami(e)s qui sont chirurgiens. Ceux que je ne peux pas blairer, ceux qui ne sont pas mes amis, ce sont ceux avec qui il est impossible de travailler. Je relate :

C'était au CHU. Oui parce qu'au CHU il y un phénomène d'émulation entre "chirurgiens" : ils ont tous la grosse tête alors forcément, il y a de la concurrence. Leur jeu préféré c'est de montrer celui qui aura la plus grosse (au sens pas tout à fait figuré). J'étais dans mon service à traîner mes chaînes et mon boulot jusqu'à me rendre compte que le boulet, c'était moi-même, mais nous y reviendrons.

Mon patient, M. Camembert, avait 2 infections, une sur chaque gros orteil de chaque pied. Une à gauche et une à droite (je précise, ça aura son importance plus tard). Celle de gauche avait touché l'os, elle était super profonde et donc potentiellement grave. Celle de droite, c'était une grosse poche de pus bien moche et qui sent le fromage, superficielle, pas très grave.

La première, on n'arrivait pas à récupérer de bactéries dans les prélèvements. La deuxième, il n'y avait qu'à se baisser et appuyer sur l'orteil tout rouge pour en recueillir. La première (celle de gauche je le répète) ne pouvait être traitée que par amputation de l'orteil. La deuxième (celle de droite, vous devez commencez à voir où je veux en venir) nécessitait juste des antibiotiques (à condition de ne pas se tromper) et des soins locaux.

Pour savoir quel antibiotique mettre, nous avons eu droit à un cours de sémiologie olfactive par le Professeur :
"Vous sentez ? si ça sent le fromage, c'est un germe de la peau, donc sensible à tel spectre d'antibiotiques. Si ça sent les ordures, c'est un germe anaérobie, donc d'autres types d'antibiotiques. Mais là, pour le cas du patient ici présent, ça sent plutôt la merde. C'est donc un Escherichia coli".

Bon, dans le cas du patient, c'était pas aussi simple parce qu'il avait 2 pieds, 2 infections, donc potentiellement 2 germes différents (parce qu'en vrai, dans sa chambre, ça sentait le fromage, les ordures et la merde). Il ne nous restait donc qu'une seule solution : amputer l'orteil et l'envoyer en bactériologie pour analyse.

J'ai donc rédigé un courrier avec toutes les informations du patient, ses antécédents, ses traitements, le fait qu'on soit embêté avec ses 2 pieds, tout ça, tous les détails, avec à la fin, s'il vous plaît, en gras souligné, d'envoyer l'orteil GAUCHE (pas le droit, hein ? le gauche) en bactériologie. Et surtout, pas besoin d'opérer le pied droit. J'ai même noté mon numéro sur le courrier pour qu'on m'appelle si soucis.

Ce que je ne savais pas, c'est que les "chirurgiens", eux, ils ne savent plus lire ! Mon patient est revenu 3 jours plus tard, sans son orteil droit. J'étais furax. Évidemment, je me suis fait engueuler par le Professeur Saint-Nectaire disant que j'étais responsable mais je lui ai répondu que non, que j'avais fait un courrier détaillé, que je l'avais même photocopié et mis dans son dossier.
"Et tu l'as appelé le chirurgien avant qu'il opère ton patient ?
_ Euh...non.
_ Et voilà. Donc, oui, c'est TOI qui est responsable. TU vas rappeler le chirurgien en lui disant que TU avais fait une erreur et qu'il faut lui amputer d'URGENCE son autre orteil.
_ Oui mais leur service est complet et ils n'ont plus de place pour les 10 prochains jours, arguais-je tout penaud. 
_ Tu te démerdes."

J'ai du aussi expliquer au patient pourquoi on lui avait enlevé un orteil qu'on ne devait pas lui enlever. Super top crédibilité. Il a insisté pour que ce soit un autre chirurgien qui l'opère (ça peut se comprendre).

J'ai donc retéléphoné dans le service pour avoir une place dès que possible, le cadre de santé de chirurgie me dit pour lundi 13. Ok, je rappelle le chirurgien, un autre, je lui explique tout, il a compris, je vérifie qu'il ait bien compris :
"Bah oui, quand même je suis pas con". Je me retiens de lui faire part de mes doutes. Je refais un courrier mais cette fois-ci de 5 lignes avec écrit en majuscules rouges et passées au fluo : ENVOYER L'ORTEIL GAUCHE EN BACTÉRIO.

J'adresse le patient le lundi à 9h pour qu'il soit opéré dans l'après-midi, tout va bien. Je peux souffler et sourire.

A 10h je reçoit un coup de fil du chirurgien :
"Qui est le con qui envoie les patients quand il n'y a pas de place ?!?!?!
_ Je m'excuse mais votre cadre m'a dis que pour lundi 13 il y avait une place réservée pour le patient.
_ Regardes ton calendrier ducon ! c'est lundi 12 ou mardi 13. Y a pas de lundi 13."

Le patient est revenu dans le service à 11h, il était encore plus perdu que la première fois, on ne lui avait rien expliqué en chirurgien. Je suis allé m'excuser auprès de lui, lui dire que cette fois, c'est moi qui avait fait une boulette. Bizarrement, il ne m'a pas engueulé, il a compris que je me démenais pour lui depuis le début et que c'était pas facile.

Le lendemain il a été re-transféré (pour la 3° fois en une semaine) et opéré. J'ai appelé la bactério. Ils n'ont jamais reçu son orteil...

4 commentaires:

  1. Heureusement, je tâche toujours de ne pas paraître collet monté. Le chirurgien modeste, c'est aussi une question d'éducation

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    1. je suis d'accord, mais je pense que c'est aussi une question de conscience professionnelle. Je suis quelqu'un de perfectionniste et pour moi, se tromper de pied à opérer, c'est une faute grave qui prouve un certain manque de professionnalisme. J'ai des cas comme ça dans mon établissement...
      Ce chirurgien manie surement très bien le bistouri, mais je comprend tout à fait que le patient ne veuille pas se faire réopérer par la même personne!
      Marc, chirurgien beauté

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  2. Faire de cette experience une généralité est dommage. La profession évolue. Il aurait été cependant plus élégant de critiquer avec humour. Pour info, on n'envoie jamais un orteil en bacterio, le bacterio qui le recoit n'apprécie guère. D'autant plus que dans le cas de M. Camembert, il est forcément septique, avec de nombreux germes. Il est donc plus judicieux d'envoyer une recoupe en zone saine.

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    1. Bien entendu c'est une caricature. Un peu acerbe je l'admets mais c'était pour préparer le billet suivant :
      http://georgeszafran.blogspot.com/2012/01/les-chirurgiens-3.html.
      J'ai travaillé avec d'excellents chirurgiens et j'en parle ici : http://georgeszafran.blogspot.com/2011/12/les-chirurgiens-2.html
      Merci pour le commentaire. J'aime beaucoup dialoguer avec des chirurgiens, c'est toujours enrichissant.

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