dimanche 18 décembre 2011

Ma première garde en pédiatrie

Déjà que je ne raffole pas des enfants, encore moins quand ils pleurent et encore encore moins quand ils pleurent et qu'ils sont malades. Alors, sachant que je suis externe, en 4° année, que j'ai décidé d'arrêter médecine, que je ne sais rien faire et que je ne peux rien faire pour eux, imaginez mon désarroi.

J'arrive donc à 18h, prêt à coller aux baskets de mon interne pour qu'elle m'apprenne un peu des trucs quand même, on sait jamais, ça pourra servir quand je changerai de métier.

Elle me dit (oui, la majorité des internes sont des filles de toute manière, en pédiatrie c'est flagrant) :
"La première chose à savoir, c'est que les puéricultrices ont plus d'expérience que toi et savent mieux faire que toi."
J'ai découvert ce mot : "puéricultrice". Je ne savais pas trop comment me le représenter. J'ai fait le rapprochement avec "agricultrice" et comme on était en pédiatrie, j'imaginais des femmes en train de creuser la terre pour planter des choux et des roses pour que ça donne 9 mois plus tard en arrosant bien des petits garçons et des petites filles.
En vrai, ce sont des infirmières spécialisées en pédiatrie.

La première patiente arrive : une petite fille de 2 ans et demi, qui est tombée sur le rail de la porte coulissante. Elle a une jolie plaie ouverte sur le front (je ne sais pas pourquoi je dis "jolie", ce n'est jamais qu'un trou dans la peau avec de la chair et du sang, c'est jamais joli). L'interne me dit : "Tu l'installes, tu l'examines, tu fais l'interrogatoire : c'est TA patiente et je viendrai la suturer".
Je l'installe sur la table d'examen, elle ne se débat pas (surprise).
"Allez ma petite chérie, il faut se réveiller...allez...(en lui faisant des guilis)."

Il faut savoir que les gamins, quand ils sont dans un endroit qu'ils n'aiment pas (les urgences) entourés de gens qu'ils n'aiment pas (les médecins en blouses blanches) et qu'ils ont mal, les guilis, ça ne les fait pas rire, mais alors pas du tout.
Et là, pas de réaction. Elle dort et ne se réveille pas. Au bout d'un moment, faut quand même que je fasse mon travail moi. Je lui ouvre les paupières : mydriase bilatérale, aréactive à la lampe et ne se réveille toujours pas.
Je vais voir l'interne au pas de course : "Ma patiente avec la plaie du front ne se réveille pas, j'ai tout essayé et elle a une mydriase aréactive bilatérale". Et là, je vois mon interne blanchir à vue d’œil. On se précipite vers la patiente, on la remue de gauche à droite (jamais d'avant en arrière !!!) et on la pince. Enfin, elle se réveille et elle pleure. Ouf. 

On l'a suturée, on lui fait un scanner, on l'a gardée en surveillance. On a eu très très peur.

Une puéricultrice m'appelle (je me demande où elle a rangé sa pelle et son arrosoir) : "On a un doigt-porte pour toi.
_ C'est quoi un "doiporte" ? C'est une maladie rare ?
_ C'est pas une maladie et c'est pas rare : c'est un enfant qui s'est pris un doigt dans une porte."
Ah bah oui, forcément.

Puis un enfant de 7 ans arrive avec un hameçon dans le pouce. On l'a anesthésié au protoxide d'azote, le gaz hilarant. Ça marche très bien. Au bout de 10mn, l'enfant dit "Papa ? c'est comme ça qu'on se sent quand on meurt ?" Tout le monde éclate de rire, l'enfant compris. On le rassure, on enlève l'hameçon et on lui fait un joli pansement, antibio (les vaccins sont à jour ?).

Dernier patient, un enfant de 8 ans s'est relevé et s'est pris le coin de la table basse en verre et a ruiné la moquette du salon. Je vous préviens monsieur, aux urgences, on ne va rien pouvoir faire pour votre moquette.
L'enfant tout calme, ne pleure même pas. On regarde sa plaie, 1cm, droite, propre. On lui explique que ça prendra plus de temps de l'anesthésier que de refermer directement avec une seule agrafe. Un lui fait respirer un peu de gaz (c'est trop bien ce truc), on l'assoit :
"Tu ne bouges pas pendant une minute d'accord ? tu vas sentir un petit picotement juste une fois et après c'est terminé. D'accord ? t'as pas peur hein ? t'as le droit d'avoir un peu peur. Tu peux tenir la main de Georges si tu as peur."
Je lui ai tenu la main, il a serré fort. On lui mis une seule agrafe.
"J'ai rien senti du tout !" Dit-il tout fier avec un grand sourire. Son père fait : "Tu dis merci aux docteurs" "Merci les docteurs, vous êtes gentils." Et il s'en va en nous ayant fait la bise à tous les deux.

Si, finalement, après mure réflexion, les enfants, c'est bien.

A la fin de la garde, l'interne et moi faisons le débriefing avec le médecin chef autour d'un chocolat chaud et de bonbons (oui, les pédiatres sont de grands enfants) :
"Pour la fille difficilement réveillable, tu as bien fait. Mais je vais te raconter une histoire : un jour, ma propre fille s'est cognée la tête, je l'examine, elle a une anisocorie (pour les non-médecins, elle a la pupille qui est plus grosse d'un côté que de l'autre, c'est franchement chelou et c'est pas bon mais alors pas bon du tout). Je l'emmène en panique aux urgences, scanner cérébral normal. Plusieurs fois elle m'a refait ça, sans raison particulière. Quand elle dort profondément par exemple. J'ai beau avoir fait toutes les études que tu veux, il y a encore des trucs que je ne m'explique pas."

Bon, ok, les enfants c'est bien, mais ça fait un peu peur quand même.

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