mercredi 4 janvier 2012

culiérimanie

Il est une chose assez curieuse dans un hôpital : il y a de nombreuses naissances, des sauvetages de vies et, dans le même, des objets disparaissent.

Par exemple, à chaque fois qu'un interne ou un externe souhaite prendre son repas (c'est à dire en générale entre 2 et 4h du matin), déjà il aura de la chance s'il trouve de quoi manger au réfectoire où dans la salle de garde réservée à cet effet. Ensuite, quoi qu'il arrive, il lui sera impossible de trouver une cuillère.

Le nombre incommensurable de yaourts que j'ai mangé avec le dos de la fourchette ! le sentiment de persécution du destin contre soi quand il ne reste plus rien à manger qu'une soupe (Destin : 1. Moi : 0. Energie restante pour le reste de la nuit : -1).

Cela m'a d'ailleurs valu plusieurs railleries en famille. Par mes petites cousines :
"Maman ! Georges il est bizarre : il mange son dessert avec sa fourchette ! Ah Ah Ah !" avec des index moqueurs pointés dans ma direction.

Ou tout simplement par les parents :
"Tu es à ce point affamé que tu n'attends pas ta cuillère pour manger ton gateau ?
_ Ben, euh, non, en fait, c'est par habitude...
_ Tu ne vas pas me faire croire qu'un hôpital qui possèdes des IRM, des scanners et du matériel de pointe n'a pas assez d'argent pour acheter des cuillères ?" avec un soupçon de mépris un peu mais pas trop.

Je n'ai pas de réponse. Est-ce que tout le personnel médical, j'entends par là toutes les personnes qui travaillent dans un hôpital, ont la même maladie ? la kleptomanie des petites cuillères ou culiérimanie ?

Ou bien est-ce que les petites cuillères d'hôpital, à force d'être élevées dans un environnement extrême, à recevoir des rayons X, être autoclavisées pour un oui pour un non et être fourrées dans des orifices divers et variés (en général, il y a un orifice qui revient fréquemment), auraient-elles développé une forme de vie intelligente ?
J'imagine une armée de petite cuillères se cachant camoufflées entre les murs des hôpitaux, un escadron s'étant enfui sur une autre planette par leurs propres moyens, un flotte entière ayant rejoint l'océan par le fleuve, menant leur vie autonome et remontant le cours des ruisseaux pour frailler et donner naissance et des bébés petites cuillères...

Par contre, un fait admis et reconnu par tout le monde, et ça, c'est pas un mystère, c'est le vol de pyjamas de bloc. Aucune personne en dehors de médecine ne peut comprendre ce phénomène. C'est pourtant simple.

Le pyjama de bloc est un vêtement qu'on enfile à la place de ses vêtements civils pour ne pas rapporter les bactéries du domicile dans le bloc opératoire, et inversement, pour ne pas faire un élevage de bactéries multirésistantes hospitalières dans sa salle de bain. Par dessus ce pyjama de bloc, les chirurgiens enfilent le kimono de bloc qui est complètement stérile, vêtement avec lequel ils opèrent.
Quand on est de garde aux urgences, en général, les étudiants (internes et externes) s'habillent en pyjama de bloc et enfilent une blouse par dessus. Pourquoi ? parce que c'est beaucoup plus sympa de mettre des taches de sang, de plâtre et d'autres fluides sur un vêtement qui ne nous appartiens pas vraiment et qui passera à la machine à laver de l'hôpital à 100° et à la javel, plutôt que de ruiner le jean qu'on s'est offert après 3 gardes difficiles ou la chemise qu'on a rapporté d'un voyage post-examens.

Mais pourquoi acquerrir un vêtement aussi déguelasse pour son domicile ? Voyez-vous, après une bonne nuit de garde, quand on va se coucher à 5h du matin, en espérant pouvoir fermer les yeux 3 petites heures avant la relève du matin et aller en cours l'après midi, mais que le service rappelle à 5h30 pour dire qu'un polytrauma est arrivé, qu'on sait qu'on va passer 3h à le radiographier-nettoyer-suturer-plâtrer, avec un peu d'expérience, on se couche directement avec ce pyjama, qui en l'occurrence, porte parfaitement son nom.
Comme ça, même si on est réveillé, pas besoin de se rhabiller, il suffit d'enfiler sa blouse. Et il arrive le moment assez cocasse où on examine un patient en tenue de médecin respectable, sachant que 5mn auparavant, on était en train de dormir dedans.

C'est un peu comme si le poissonnier venait vous servir en pantouffles avec un nounours dans les bras.

Finalement, ce pyjama devient notre compagnon de galère, il partage nos jours et nos nuits sans nous quitter, il nous colle littéralement à la peau. Alors, un matin, quand on a eu la chance de ne pas tacher ce bouclier fidèle, on le ramène fièrement à la maison, on le lave, on s'y attache, on le regarde avec un sentiment mêlé d'amour et de dégoût. Sans compter qu'on dort super bien dedans. 

Tous les étudiants en médecine en ont un chez eux, volé à l'hôpital, une espèce d'impôt sur l'esclavage. Paradoxalement, il n'en manque jamais. Alors que les petites cuillères, personne n'avoue les voler et il en manque toujours.

6 commentaires:

  1. Ce qui est assez exceptionnel c'est que ce que tu racontes existe vraiment PARTOUT :)
    D'ailleurs, malgré deux déménagements j'ai toujours dans ma penderie une chouette tenue de bloc (celle que je mettais pour réviser mes cours, bah oui, c'était confortable et ça m'évitait de me poser la question de quelle tenue porter) et une autre pleines d'autographes de mes anciens compagnons de galère (bah pour sortir en soirée c'était bien et ça évitait d'abimer et salir mes affaires)
    Pas de cuillères à café retrouvées en revanche :))

    Bonne année à toi et merci pour tes écrits si agréables à lire!

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  2. Haha, tes petites cousines devaient de martyriser =)

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  3. Merci pour ce blog...à la fois juste et drôle, parfois touchant également. J'attends la suite avec une grande impatience!

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  4. J'ai la réponse au mystère ^^ Les petites cuillères finissent en général à la poubelle ^^ Avec le fameux yaourt ^^
    J'ai découvert cette affreuse vérité quand par erreur j'ai fait tombé un truc dans la poubelle, il y en avait 3, avec leurs pots de yaourt respectifs ^^
    (on mettra ça sur le compte de la fatigue estudiantine dans mon cas, et de la fatigue médicale dans celui d'un hospital ^^)

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  5. C'est soit ça, soit elles rejoignent les chaussettes orphelines de la machine à laver, autre grand mystère...

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  6. Mon CHU de ratachement ne devais pas se fournir à la même lingerie, j'ai dormi une fois dans un pyjama de bloc, sans soutien-gorge, peux pas dormir avec. Réveil, hémorragie digestive, démarrage en trombe, pas le temps de remettre la lingerie. J'ai cru mourir, les mamelons affreusement irrités par cette foutu toile rèche, l'intervention suivante je l'ai faite avec 2 petits pansements judicieusement placés...

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