lundi 9 janvier 2012

les tartes tatins de l'ENC

A la fin des études de médecine, il y a 2 événements majeurs : le concours de l'internat (Examen National Classant ou ENC) et quand on crois que c'est fini à ce moment, par derrière, en traitre, il y a la thèse. Mais ce sera une autre histoire...

Je vais parler ici de l'ENC. Vous n'imaginez pas à quel point c'est crucial, à quel point la vie de quelqu'un, son avenir pour ses 40 prochaines années se joue en quelques questions. Enfin, après on se rend compte qu'on a un peu plus de choix que de s'enfermer dans ces cases prédéfinies mais avant, non, on ne sait pas, on ne sait rien, on angoisse.

Le concours de fin de 6° année c'est la concrétisation de 3 ans de révisions intenses, de bachotage, de répétitions de cas cliniques encore et encore et encore ad nauseam. D'ailleurs, j'en étais là : s'était 8 jours avant le grand concours, ça faisait déjà 3 jours que j'ouvrais un bouquin, je lisais 3 lignes, je revenais au début pour les relire parce que je n'avais rien retenu et que je refaisais encore la même chose 2 fois pour refermer le bouquin d'exercices avant de vomir de lassitude.

Je décide d'utiliser un Jocker, le coup de bigot à une proximité :
"Allo Parv ? ça va ?
_ Non, j'ai besoin de vacances.
_ Ça tombe bien moi aussi.
_ 2 ou 3 jours pour m'aérer la tête ça m'irait.
_ Pareil, tu veux qu'on y aille ensemble ?
_ Allez, carrément.
_ Tu veux aller où ?
_ Je sais pas. Barcelone.
_ C'est parti."

On a réservé le bus pour Barcelone, on ne savait pas où on allait dormir, ou presque, ni ce qu'on allait y faire. On savait juste qu'on avait besoin tous les deux de changer d'air, d'aller loin, de ne penser à rien. Je rappelle qu'on est 7 jours avant le super concours qui va régenter toute ma vie et que là, techniquement, c'est plus possible, je ne suis pas dans la capacité mentale d'ouvrir le moindre bouquin et le fait que ça ait un impact sur ma vie professionnelle pour les 40 années à venir, sur le coup, j'en ai rien à foutre.

Arrivés à Barcelone, elle appelle un copain. Il n'a pas de téléphone portable, il faut avoir la chance de tomber sur son téléphone fixe, enfin sur lui à côté de son téléphone fixe. Le problème, c'est qu'il n'avait pas de montre non plus. Il nous avait fixé un rendez-vous mais s'est pointé avec plus d'une heure de retard. L'autre problème, c'était qu'il habitait à 45mn de Barcelone en train de banlieue, dans une cité universitaire et que ça chambre était...comment dire...

Ayant été étudiant pendant 8 ans (et oui, 2 redoublements) je savais qu'on pouvait accumuler du bazar par terre, avec juste l'espace pour poser les pieds. Ce que je ne savais pas, c'est qu'on pouvait aussi entasser du bordel sur la verticalité, faire des piles de capsules de bière, entasser des merdes contre les murs, sous la table basse à tel point que 3 des 4 pieds ne touchent plus le sol...vous voyez un peu l'appartement. Il était tard, on a dormi sur place, dans le même lit, on l'a remercié et nous sommes repartis en ville.

Pendant le trajet, je me suis rappelé que j'avais une connaissance qui habitait Barcelone. Il a fallu trouver un cybercafé, retrouver son adresse, fouiller dans le bottin local pour connaître son numéro de téléphone, l'appeler et supporter la honte de ne pas lui avoir ni écrit ni téléphoné pendant 3 ans :
"Salut ! C'est Georges. Je ne sais si tu te rappelles mais on s'est connu il y a 3 ans, pour...euh...
_ Ah ouais ! ça fait longtemps ? Que me vaut ?
_ Bah, c'est à dire...je suis un peu gêné...euh...
_ T'es à Barcelone et en rade d'appart, c'est ça ?
_ Bah...euh...oui.
_ T'inquiètes. T'es seul ?
_ Non j'ai une pote avec moi.
_ OK, mais je te préviens, mon appart fait 20m carrés, j'ai déjà un pote qui dort à la maison donc vous vous partagerez le canapé.
_ C'est parfait, merci beaucoup."

C'était un super appartement, à Barceloneta, pas loin de la plage, dans une petite rue avec du linge qui pend aux fenêtres, je veux dire, sur un fil, suspendu au milieu de la rue, comme dans les films !!!
C'était beau. On a fait de la plage, de parc Guel, la Sagrada Familia, les Ramblas, un peu de shopping...Mon pote était joueur de piano jazz. La journée, on faisait les touristes et le soir, on allait faire le bœuf dans les cafés branchouille. Le top. Les parfaites vacances.

A côté du musée d'art moderne, il y avait un petit café. On s'y est arrêté pour boire un peu (il faisait chaud en juin) et pour manger un peu. Je demande à la serveuse avec les restes d'espagnols qui me restaient du bac :
"_Vous avez quoi à manger ?
_ On a plein de trucs, des pâtisseries par exemple, des...
_ Quoi comme pâtisseries ?
_ Plein de trucs, une tarte tatin par exemple, une...
_ C'est parfait."

J'en ai pris une seule, mon amie n'avait pas faim, mais quand elle vu ma tête pour la première bouchée, elle a goûté et a compris : c'était la meilleure tarte tatin du monde, avec juste ce qu'il fait de crème et de caramel, des petites pommes acidulées fondantes, une pâte sablée délicieuse...à s'en lécher les doigts. Bon, il se trouve aussi que la serveuse était plutôt jolie, pas du tout du type méditerranéen, blonde, yeux verts, avec des formes comme il faut, là où il faut. Mon amie, étudiante en art moderne m'a confirmé la perfection de ses courbes.

Le soir, mon amie a flashé sur le batteur, elle l'a accosté et ont finit la soirée à s'embrasser derrière un rideau de velours. Bon, comme on dormait déjà à 4 dans l'appartement, et que je dormais dans le même canapé qu'elle, ça a été plutôt compliqué pour qu'ils poursuivent la soirée ensemble. Du coup, ils se sont donnés rendez-vous le lendemain, dans le petit café à côté du musée d'art moderne.

Le lendemain, après une journée shopping-tourisme, on s'est posé, on commandé 3 verres, et 3 tartes tatins. La serveuse nous a reconnu, a souri et a pris notre commande. Elle revient avec les 3 verres et me fait un clin d’œil...j'ai du rêver, elle a du avoir une poussière dans la paupière...n'importe quoi. Et puis, je suis le seul à l'avoir vu.
Elle revient avec l'addition, deuxième clin d’œil. Cette fois, mon amie me dit :
"_ Je crois qu'elle t'a fait un clin d’œil.
_ Ah j'ai pas rêvé alors !
_ Non non je confirme."

Elle reviens une troisième fois avec les tartes tatins, troisième clin d’œil. Mon amie et le batteur m'encouragent :
"_Vas-y Georges ! Fonces !!!"

Je vais pour payer l'addition. On commence à discuter, je vois une affiche pour un concert ce soir :
"_Qu'est-ce qu'il se passe ce soir ? un concert ? avec mon francognol approximatif
_ Oui, ça va être super bien. J'y serai. A partir de 11h. Et vous ?
_ Je viendrai aussi. A ce soir ?
_ A ce soir, répondit-elle avec un grand sourire."

Dans la soirée, on s'est posé dans un resto à manger des tapas. Mon ami pianiste mon demande :
"_ Ça fait plaisir de te voir mais tu repars quand ?
_ Le 8 à 1h du matin.
_ Oui, donc dans 3 heures.
_ Non non, dans la nuit du 8, à 1h du matin.
_ Oui, dans la nuit du 7 au 8, à 1h du matin, c'est à dire dans 3h.
_ Ah merde ! Il faut combien de temps pour aller à la gare des bus ?
_ Un samedi soir, à cette heure ci, avec les embouteillages, au moins 1h30.
_ Merde de merde de merde ! ça veut dire que j'aurai pas le temps pour aller au café.
_ Si t'as bien le temps pour un petit café.
_ Non non, j'ai un rendez-vous dans un café à 23h.
_ Ah non, t'auras pas le temps."

Je suis à la fois dégoûté de devoir écourter mon séjour que je pensais d'un jour supplémentaire et également de devoir poser un lapin à la serveuse des tartes tatin. Je monte dans le bus, seul, mon amie est restée avec le batteur. Il me reste 3 jours avant le concours de fin de médecine.

Arrivé chez moi, j'ai pu me remettre sereinement au boulot, doucement mais sûrement. Au concours, il est tombé un sujet quasiment identique à un exercice que j'ai fait pendant ces trois jours de révisions molles, passées à rêver à moitié de Barcelone, à moitié de la serveuse.

C'est marrant mais avec le recul, je ne me rappelle presque pas du calvaire et de l'horreur des révisions et du concours. Je ne me rappelle que du goût des tartes tatin.

2 commentaires:

  1. Je ne commettrais pas l'affront de relever les fautes d'orthographe repérées dans ce billet ;)
    Toujours autant de plaisir à lire tes tranches de vie, avec un ton que j'adore :)

    (et c'est surtout pour vérifier que j'arrive enfin à poster des commentaires)

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  2. Sinon tu peux me faire tous les commentaires que tu veux en privé, ça ne me dérange pas, au contraire ! georges.zafran@gmail.com

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