jeudi 26 janvier 2012

Thèse 1

Avant d'aborder spécifiquement la thèse, il faut que je resitue un peu le contexte.
En général, dans un internat de spécialité, on doit rendre un mémoire, pour montrer qu'on a les connaissances d'un spécialiste, et une thèse, pour recevoir le titre de Docteur et pouvoir prescrire tout seul.

D'ailleurs, ça plonge très souvent les patients dans la perplexité. En effet, lorsqu'on commence l'internat, c'est à dire après avoir passé le concours de l'ENC en fin de 6° année, on devient médecin mais pas docteur. On prescrit toujours avec l'aval d'un chef qui est sensé nous surveiller. Inversement, j'ai un oncle qui a passé une thèse de littérature britannique, il est Docteur, mais pas médecin...Est-ce que tout le monde me suit ?

Ça donne lieu à des conversations bizarres :
"Ah bonjour Docteur !
_ Bonjour Monsieur Truc. Au fait, je suis pas docteur.
_ Ah bon ? vous êtes infirmier ?
_ Non, je suis médecin. Je suis l'interne qui s'occupe de vous.
_ Ah bon ! comme l'étudiant qui m'a interrogé ce matin ?
_ Non, lui c'était l'externe : il est étudiant mais pas médecin. Moi, je suis étudiant ET médecin.
_ Ah vous n'avez pas fini vos études de médecine alors, vous êtes pas un vrai médecin.
_ Non, je suis un vrai médecin mais je ne suis pas encore Docteur. Il faut que je passe ma thèse d'abord.
_ Ah et après vous pourrez prescrire des médicaments.
_ Non, je peux prescrire des médicaments dès maintenant.
_... J'ai mal à la tête, docteur."

Après, il faut réexpliquer ça à ses parents chaque année, et c'est moi qui chope mal à la tête.

Comme je l'expliquais précédemment (cf ici) mon 1° stage au CHU était mon 3° stage. Ça voulait dire qu'il ne me restait que 5 stages de 6 mois (2 ans et demi) pour trouver un sujet de mémoire, écrire un mémoire, soutenir mon mémoire, trouver un sujet de thèse, écrire une thèse et la soutenir. Boh, un objectif à remplir par semestre, ça devrait aller...j'ai laaaaaaargement le temps.
Que nenni.

Mon troisième stage a été un calvaire quotidien tempéré par 2 co-internes ultra-adorables. En sortant à 22h tous les soirs, je pensais surtout à mon oreiller et pas du tout, mais alors DU TOUT à mes diplômes. J'ai donc attendu mon 4° stage, sauf que je suis tombé ailleurs que dans ma spécialité. Zut...encore 6 mois à attendre. Mais ce stage a été très important quand même. En effet, il fallait que je choisisse où j'irai après et le stage suivant aurait le Professeur qui serait mon directeur de thèse et de mémoire. Parce qu'après, ce sera trop tard pour s'y mettre.

J'avais le choix entre le stage d'esclave avec le Professeur tyrannique, où je devrais bosser 14h par jour et EN PLUS bosser mon mémoire/thèse, ce qui voulait dire renoncer au sommeil pendant 6 mois.
Ou alors, aller dans un stage inconnu, chez un Professeur inconnu...

J'arrive dans ce stage inconnu, où je découvre qu'il y a 2 Professeurs, se détestant ostensiblement...voire même ostentatoirement. Appelons-les Professeur A et Professeur B. Chacun a ses domaines de compétences spécifiques et complémentaires, des sur-spécialistes qui se méprisent mutuellement en disant l'un de l'autre qu'il fait de la sous-médecine. Tous les 2 ont leurs qualités et leurs défauts mais mettez-les ensemble dans la même pièce et vous n'allez voir que les défauts.

Par exemple, dans le service, il y avait 30 lits. Ça aurait été super facile de séparer en 2 : le côté nord pour Pr A. et le côté sud pour Pr B. Ou les chiffres pairs pour machin et impairs...Mais non ! chacun estimait qu'il avait le droit de placer SES patients où il le voulait et quand il le voudrait.
Ça a donné lieu à de grands moments de solitude. J'étais en train de faire la visite professorale avec Pr B quand l'infirmière rentre dans la chambre :
"Georges, on a besoin de toi dans la chambre 312, le Pr A a besoin de toi pour la visite.
_ Euh...ok, j'arrive.
_ Non, Georges, on est dans la chambre de TA patiente, tu restes ICI."

Et pendant ce temps là, dans la chambre 312 :
"Il est où l'interne ? encore en train d'écouter l'autre abruti je suis sûr."

Et encore, ça c'était les bons moments. Parfois, les Pr se trompaient de chambre, ou avaient vu une patiente pendant les congés de l'autre, chacun s'attribuant la "propriété" de cette patiente. Il nous arrivait de faire la visite avec Pr A. qui prescrit tel traitement et de devoir refaire une visite professorale dans la même chambre avec la même patiente, qui du coup a le "privilège" d'être suivie par 2 professeurs, et de voir Pr B. rayer la page de prescription du coin en haut à gauche jusqu'au coin en bas à droite, changer complètement les prescriptions de la patiente en s'exclamant au scandale de prescrire un traitement pareil.
Et si jamais Pr A voyait que les prescriptions avaient changé, bien sûr, c'est à l'interne qu'il s'en prenait, en l'occurrence moi.

C'est extrêmement formateur, vous vous en doutez. Il a fallu faire intervenir la maîtresse d'école pour séparer ces deux enfants turbulents : la cadre de santé. Vous croyez que ce sont les médecins qui font vivre un service ? pas du tout du tout. Sans infirmière déjà, aucune prescription ne serait appliquée, et sans cadre de santé, pas d'infirmière. C'est elle la vraie Boss. Et elle avait en plus la classe de faire croire aux Professeurs que c'étaient eux les chefs.

Un jour, elle les a pris a part :
"C'est plus possible maintenant. Vous êtes en train de détruire le service avec vos enfantillages."
_ C'est lui qui a commencé !
_ Je ne veux pas le savoir ! vous êtes tous les deux en tort. Il faut que vous appreniez à vivre ensemble. A., tu feras la visite de 9h à 10h30.
_ Non je veux pas !
_ C'est comme ça et puis c'est tout ! et toi B., tu la feras de 10h30 à 12h.
_ D'accord mais je suis sûr que A. va continuer à m'embêter !
_ Il faudra me le dire et je referai un temps de régulation. Est-ce que c'est clair pour tout le monde ?
_ grmlmlml
_ J'ai pas entendu !
_ Oui madame.
_ Oui madame. 
_ Et le premier qui désobéi ira au coin !"

(bon d'accord, la retranscription de ce qui s'est dit n'est pas littérale mais c'est ce que j'ai retenu)

Après cela, ça s'est un peu mieux passé. Ils ne pouvaient plus s'envoyer des fions par interne interposé. Là où  le dilemme devient cornélien : lequel allais-je choisir des deux pour diriger mon mémoire et ma thèse ?

la suite ici.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire