dimanche 11 novembre 2012

Saison 2 : un nouveau départ

Ma thèse en poche, des idées plein le crâne et des espoir à raz bord du cœur, je sortais du restaurant où j'ai fêté ma victoire sur Pr A (cf ici) avec tous mes proches, la tête haute, les épaules larges, le torse droit (et même pas beurré, ou alors à peine) pour regarder les étoiles et me poser la seule et unique question : "et maintenant quoi ?"

Parce que bon, ce n'est pas tout de finir haut la main 13 ans d'études, il faut savoir quoi en faire, ou comme disait un grand philosophe des années 80 : "l'essentiel n'est pas d'avoir des bagages mais de savoir où les poser".
En l'occurrence, la question se pose au sens propre et figuré. En effet, il y a quelque temps, on m'avait proposé un poste sous les tropiques. Je vous relate l'entretient avec le Dr Shleck :

"Vous verrez ici nous sommes aussi bien équipés qu'un CHU, nous avons une trentaine de lits d'hospitalisation, 10 lits d'hôpital de semaine et 2 d'hôpital de jour, 5 médecins, une excellente ambiance et nous allons ouvrir une nouvelle aile prochainement. C'est pour cette raison que, après la thèse obtenue, nous serions ravis de vous accueillir ici pour développer notre activité et nous enrichir de votre expérience. D'ailleurs quelle est-elle, votre expérience ?
_ Et bien, c'est à dire que j'ai passé 4 dans un CHU de métropole dont 6 stages de spécialité.
_ Ah c'est bien ça ! vous avez du être bien formé.
_ Euh...oui, pas trop mal.
_ Oh vous êtes modeste.
En vrai, non. Je n'ai pas eu le cœur de lui dire qu'en 4 ans, les occasions où j'ai croisé mes Professeurs (en dehors des congrès et de la thèse) peuvent se compter sur les doigts de mes mains (et des orteils en étant indulgent).
_ Et vous vous êtes sur-spécialisé dans quel domaine ?

Pour les néophytes, il faut que je vous explique un peu. Au terme d'un concours particulièrement sélectif, s'en suivent 5 ans de formation médicale dont 3 passées tous les matins au chevet du patient. Puis, à la fin de la sixième année, il existe un autre concours. En fonction de son classement, on choisit la spécialité et la ville où l'on souhaite exercer pour les années suivante : le premier peut choisir neurochirurgie à Paris (si c'est ça qui le fait kiffer) et le dernier choisit ce qui reste (et il y a des chances pour que ça ne le fasse pas kiffer mais alors pas du tout).  
Tout le monde a le choix parmi plusieurs spécialités allant de 3 ans pour la médecine générale jusqu'à 5 ans pour la chirurgie, la médecine interne ou la réanimation.
Et au sein de chacune des spécialités, chacun doit encore y trouver sa place en jouant des coudes.

Exemple : un interne de gastro-entérologie apprend qu'un poste va se libérer dans 2 ans dans l'hôpital qui lui plait. Ce service est spécialisé dans l'hépatologie (le foie) alors que d'autres sont spécialisés dans le tube digestif, ou parfois même encore plus spécifiquement dans le rectum (un proctologue ça s'appelle). Si notre interne veut garder son poste, il va donc devoir passer des diplômes universitaires (DU) ou des DESC (diplôme d'études spécialisées complémentaires) pour justifier de sa supériorité de connaissances vis à vis de ses confrères. Bref, c'est la guerre. Et moi j'ai horreur de ça.
Retenez bien, ça va servir pour les prochains épisodes.

_ Quel est votre domaine de prédilection ?
_ Disons que j'ai préféré garder une approche globale et pluri-disciplinaire de ma spécialité.
_ Ah fort bien !
Avec un soupçon d'intérêt dans la voie, ce qui m'a un peu décontenancé. Je m'aurais attendu à du mépris.
_ Parce que nous avons besoin de quelqu'un pour s'occuper du service pendant que les autres médecins vont se familiariser avec les appareils dont nous venons de faire l'acquisition.
_ Ah bon ?
_ Oui nous allons faire pas mal d'exploration techniques dans notre nouvelle aile. Vous connaissez ?

Si je connais ? j'en ai bouffé de ces trucs...Les dossiers des patients débordaient de ces données à la con à tel point que, pour les 12 entrées du lundi, il fallait passer tout son dimanche à faire le tri dans les résultats sinon on sortait le lundi soir à ...deux heures du matin.
_ Oui, ça ne m'est pas inconnu.
_ Formidable, vous pourrez nous donner un coup de main alors.
Plutôt crever. 
_ Euh oui mais bon, concrètement, ça se présenterait comment le boulot que vous me proposez ?
_ Et bien, mi-temps dans le service et mi-temps aux explorations fonctionnelles. Sauf pendant les congrès. Dans ce cas là, c'est vous qui vous occuperiez à plein temps du service.
_ Très bien, ça m'intéresse.
_ Alors recontactez moi dès que vous aurez passé votre thèse."
L'entretient s'est terminé avec un grand sourire amical et une poignée de main chaleureuse.

Je suis toujours sous les étoiles, en dehors du restaurant d'où sort un doux fumet de viande grillée (tiens ça me rappelle le bloc opératoire...). Plusieurs choix s'offrent à moi  :
   - ouvrir un cabinet, m'installer en libéral, comme ça tout de suite. Pourquoi pas ? j'ai l'expérience des consultations, j'aime ça, j'ai de bons contacts avec les patients...mais il faut que je fasse mon trou, que les médecins m'adressent des patients. Que je me fasse connaître. Ce n'est pas dit que ça marche tout de suite.
   - m'installer à l'hôpital. Pas d'angoisse d'argent, un salaire tous les mois, des patients à foison sans avoir à aller les chercher, du travail varié et intéressant. Oui mais voilà, un boss au dessus, des comptes à rendre, des papiers, des réunions, des commissions... 
   - racheter une patientelle : c'est à dire qu'un spécialiste en ville parte à la retraite et que je lui rachète son cabinet et surtout son carnet de rendez-vous avec sa secrétaire pour gérer la paperasse. L'idéal. Oui mais qui ? je ne connais personne.
   - ou alors je peux toujours continuer les remplacements pendant un certain temps. C'est bien payé et je voyage. Oui mais combien de temps ? et puis c'est frustrant de ne pas suivre un patient dont on s'est occupé.

Que faire ?

Fin décembre, il fait froid en métropole. Et la chaleur enveloppante des entrecôtes ne suffit pas à me réchauffer l'âme vagabonde qui commence à monter en moi. Je veux voyager, je veux vivre intensément des choses et faire du bon boulot. Je veux vivre heureux et utiliser mon cerveau. C'est ce dont j'ai toujours rêvé.
Au loin, portée par la brise, une mélodie au goût poivré m'entoure et me berce. "Emmenez-moi au bout de la terre. Emmenez-moi au pays des merveilles. Il me semble que la misère serait moins pénible au soleil."

Merci Charles. C'est décidé ! je pars loin, très loin. Au chaud, faire ce que j'ai toujours eu envie de faire sans jamais en avoir l'occasion : être libre, sans avoir de perpétuels examens, vivre et être heureux.

Pour moi, la vie va pouvoir commencer.

To be continued...


PS : pour ceux que ça intéresse, vous trouverez ici (atlas 2012 résumé, page 18) les choix qu'on fait d'autres jeunes médecins diplômé avant moi. Plus des 2 tiers choisissent une activité salariée, 1 sur 5 choisit les remplacements, moins d'un sur 10 choisit de s'installer. Toutes spécialités confondues.

12 commentaires:

  1. Je reste sur ma faim. J'ai bien envie de connaître la suite !

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  2. Genial! Le retour de Georges. Ce que je trouve assez impressionnant, c'est que malgre tous ces episodes, on ne sait toujours pas quelle specialite vous faites. J'imagine que c'est volontaire. A moins que j'ai loupe un detail qqpart.
    En tout cas bonne continuation.
    Maud

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    1. Oui c'est volontaire =) et merci beaucoup pour les encouragements

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  3. Le grand retour de Georges! La suite Vite! Tu as vraiment le don de nous tenir en haleine.

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    1. on peut jouer "à qui est-ce ?"

      son internat a duré 4 ans : il ne fait pas de médecine interne

      il fait de la cancéro, il n'est donc pas cardiologue, et vraisemblablement pas neuro

      il peut aller en libéral *facilement*, il n'est donc pas hémato

      il y a des explorations fonctionnelles, je doute qu'il soit néphro

      il a l'air marrant : il fait gastro ou pneumo

      il a pris l'exemple de la gastro : il est donc pneumo

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    2. Vu de l'extérieur de la médecine, je ne comprends pas la logique de l'avant-dernier point du "qui est-ce ?" :)
      Franchement, si j'avais dû parier j'aurais misé sur la neurologie... Mais je saurais même pas dire pourquoi.
      J'ai hâte de lire la suite... (Je peux pas t'ajouter à mon feedly qui te trouve pas, du coup je viens voir très souvent ;))

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    3. Bonjour et merci =)
      Je n'ai pas encore installé de flux RSS mais il y a déjà un agrégateur : "le club des médecins blogueurs". Ils vous tiendront informés dès que je posterai un truc. Bonne(s) lecture(s) et à bientôt

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    4. En même temps si on part sur la piste cancéro... c'est pas évident ^^ (ouais j'avoue je connais la réponse)

      Tu me manquais Georges.

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  4. Oh moi aussi je reste sur ma faim! De l'ORL peut être? Pas mal d'explorations fonctionnelles dans ce domaine, possibilité de se spécialiser dans un organe précis ( gorge, nez, oreille), facilité pour s'installer en libérale

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